A retenir

  • Plus la durée d’enneigement est longue, plus cela est favorable au lièvre variable et défavorable au lièvre d’Europe, son compétiteur direct.
  • Les modèles de projections futures indiquent une probable contraction des zones de présence des espèces blanches vers les plus hautes altitudes.
  • Une meilleure compréhension des espèces discrètes comme le lièvre variable est indispensable pour mettre en place des actions de préservation ciblées et plus efficaces.

 

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Lièvre variable © Parc National des Écrins, Marc Corail

Problématique : que devient une espèce blanche dans un monde où le froid et la neige sont en voie de disparition ?

Le lièvre variable est une espèce emblématique de la haute altitude. On la surnomme « espèce blanche » en référence à son manteau d’hiver qui lui permet de se fondre dans le décor et de passer inaperçue. Dans un univers en pleine mutation, cette espèce est d’ores et déjà réfugiée climatique sur les sommets des Alpes.

Spécialiste du monde des neiges, le lièvre variable a été façonné par ses interactions avec son milieu durant une longue histoire évolutive. Son pelage est particulièrement dense et efficace pour l’isoler du froid. Ses oreilles sont plutôt courtes (par comparaison avec ses cousins des plaines), et souvent repliées : la surface exposée à une perte de chaleur est minime. Enfin, sa silhouette trapue, sa capacité à bouger peu, à se replier sur lui-même en boule - donc de minimiser la surface de contact avec l’air - lui permet d’économiser de l’énergie.

Lièvre variable à l’abri © Parc National des Écrins, Marc Corail

Pour le lièvre variable, la prédation par le renard, l’aigle ou l’hermine, est la première cause de mortalité. Ses tenues de camouflage varient au cours des saisons : blanc comme neige en hiver, brun terre en été pour se fondre dans le décor. Le lièvre variable devient encore plus invisible lorsque ses déplacements se raréfient en hiver. Enfin, son rythme de vie essentiellement nocturne contribue à sa discrétion.

Pertinence l’utilisation des milieux naturels par le lièvre variable

Comment le lièvre variable exploite-t-il la mosaïque de milieux naturels entre forêts, landes et pelouses ? Quel est son rythme d’activité et comment celui-ci varie selon les saisons ? Quel lien existe-t-il entre les variations saisonnières de la végétation et l’activité du lièvre variable ? Observe-t-on une désynchronisation entre la couleur de leur pelage et les variations de l’enneigement ?

Les pièges photographiques du massif du Mont-Blanc démontrent que le lièvre variable est mobile sur un versant avec une stratégie d’occupation de la mosaïque de végétation au cours des saisons, avec un incontournable : la possibilité de se cacher des prédateurs dans la végétation et de s’abriter du froid.



À l’échelle d’une journée, les lièvres variables sont plus actifs la nuit que le jour. Lors de la période de reproduction (avril à août), un fort pic d’activité est noté au moment du coucher du soleil, puis le lièvre reste actif la nuit à un niveau inférieur et son activité chute environ 2h avant le lever du soleil. D’octobre à février, durant la période hivernale, l’activité chute à partir de 6h du matin, soit 2h30 avant le lever du soleil, puis reprend aux alentours de 18h, soit 1h après le coucher du soleil. Le lièvre montre une activité crépusculaire et nocturne en été et une activité nocturne en hiver.

Patrons d’activité du lièvre variable d’avril à août, et d’octobre à février. Les lignes verticales indiquent les heures de lever et coucher du soleil en juin (à gauche) et en décembre (à droite).

Au cours de l’année, le lièvre variable occupe différents habitats. D’une façon générale, il est présent dans un intervalle d’altitude entre 1400 et 2 500 m. En hiver (décembre à avril), on le retrouve principalement en forêt. En étant ainsi abrité, il peut réduire les dépenses énergétiques liées au froid. Il lui est aussi possible de trouver de la nourriture avec les bourgeons ou les rameaux.

Au printemps et en début d’été (avril à juin), les lièvres variables migrent vers des altitudes plus hautes. Ils occupent alors les landes et les milieux mixtes de landes et de pelouses (fréquentées plus faiblement, mais toute l’année). Ces habitats de végétation variée leur apportent de la nourriture et leur permettent de se dissimuler au moment de la reproduction.

On voit que les lièvres variables utilisent une gamme d’altitudes et de milieux leur permettant de combiner les réponses à trois défis : se protéger du froid, échapper aux prédateurs et trouver leur nourriture. Les lièvres variables profitent de cette mosaïque de végétation et évitent les landes hautes avec beaucoup d’arbustes. Or, avec la déprise agricole et le changement climatique, la végétation tend à s’uniformiser sous cette forme, une évolution des habitats qui n’est pas favorable aux lièvres variables.

Evolution de la distribution du lièvre variable

Lors de la dernière grande glaciation, qui a débuté il y a environ 115 000 ans, les glaciers couvraient une grande partie de nos régions. Les conditions étaient alors favorables aux espèces blanches dans presque toute l’Europe. Puis, lorsque le climat s’est réchauffé peu à peu, il y a environ 10 000 ans, les glaciers se sont progressivement retirés. Les « espèces arctico-alpines » comme le lièvre variable se sont retrouvées « piégées » dans les chaînes de montagne. Elles sont toujours présentes en Arctique.

En savoir plus sur le changement climatique en montagne ➞

Avec le changement climatique, les conditions qui sont favorables au lièvre variable se décalent en altitude. Les populations sont séparées les unes des autres, habitant des “iles dans le ciel” qui devraient progressivement se réduire en surface ; une tendance qui risque de faire diminuer le nombre et la taille des populations.

On observera probablement une désynchronisation entre leurs mues et le milieu, ce qui signifie de plus en plus d’individus en manteau blanc d’hiver alors que la neige n’est pas encore arrivée ou a déjà fondu.

Les modèles de projections futures indiquent une probable contraction des zones de présence des espèces blanches vers les plus hautes altitudes. Ainsi, on observerait une disparition des populations de lièvre variable dans les massifs situés aux marges, Préalpes et Alpes du Sud. Mais il est probable que les plus hauts massifs (dont le Mont-Blanc) puissent constituer des refuges. Préserver ces zones de froid et de haute altitude sera donc crucial pour préserver les espèces blanches.

Dans les Alpes, la génétique a montré que 7 populations peuvent être distinguées et montrent un isolement plus ou moins marqué : il y a peu ou pas d’échange d’individus entre ces populations. Plus une population est isolée et de petite taille, plus le risque d’extinction est élevé.

Ce portrait dressé par les données les plus récentes confirme la vulnérabilité du lièvre variable face au changement climatique : moins de neige et des températures plus élevées devraient permettre au lièvre d’Europe de remonter en altitude et en cascade de repousser le lièvre variable vers des zones de plus en plus restreintes aux hautes altitudes.

Perspectives : la compétition entre le lièvre et le lièvre

Sur le site des Écrins, une analyse génétique a porté sur la distinction lièvre variable et lièvre d’Europe, permettant de confirmer leur coexistence aux plus basses altitudes et par conséquent, probablement une compétition pour le lièvre variable. Parmi les paramètres environnementaux, la durée annuelle de la couverture neigeuse est le meilleur moyen de prédire la présence des deux espèces de lièvres. Plus elle est longue, plus les conditions sont favorables au lièvre variable et défavorables au lièvre d’Europe. Dans le Mercantour, on voit qu’actuellement la répartition des populations des deux espèces de lièvres se recouvrent peu. En répétant ce type de suivi dans le temps, on pourra voir si les zones favorables au lièvre variable remontent en altitude, si les zones de présence du lièvre d’Europe recouvrent de plus en plus celles du lièvre variable… L’hybridation entre les deux espèces a été observée dans les suivis génétiques mais elle reste rare actuellement.

La compétition entre lièvre variable et lièvre d’Europe est aussi confirmée par les pièges photos avec l’enregistrement d’une vidéo de combat.


Des inconnues subsistent. Qu’en sera- t-il des capacités d’adaptation de ces espèces face aux changements de leur environnement ? Profiteront-elles des microrefuges que peuvent offrir les montagnes pour se maintenir aux altitudes intermédiaires ? Quelles seront les conséquences du recul des glaciers qui libéreront ainsi des habitats potentiels ?

Références

Sur les traces du lagopède alpin et du lièvre variable, CREA Mont-Blanc Éditions
Rédaction : Francine Brondex / Le fil conducteur, Anne Delestrade, Irène Alvarez (CREA Mont-Blanc), Jérôme Mansons (Parc national du Mercantour), Charlotte Perrot (OFB), Yoann Bunz, Pierre Bouvet (Parc national des Écrins).
Infographies : Iris de Véricourt.

Le lièvre variable : comment suivre une espèce aussi discrète.
Ludovic Imberdis & al. Faune sauvage n°320, 2018.

Suivi des changements de distribution hivernale du lièvre variable (Lepus timidus) et du lièvre d’Europe (Lepus europaeus) sur leur zone de contact dans les Alpes françaises. Thibaut Couturier & al. Rapport d’étude programme POIA Espèces arctico-alpines, 2021.

Modélisation des habitats favorables au lagopède alpin (Lagopus muta) et au lièvre variable (Lepus timidus) dans les Alpes françaises. Maya Guéguen & al. Rapport d’étude programme POIA Espèces arctico-alpines, 2022.

Étude des facteurs paysagers affectant les flux de gènes chez le Lièvre variable. Salomé DOVAL & al. Rapport d’étude programme POIA Espèces arctico-alpines, 2022.

Déplacements altitudinaux et rythme d’activité du lièvre variable d’après les données de pièges photos, Marjorie Bison & al. Rapport d’étude du programme POIA Espèces arctico-alpines, 2022.

Partenaires

Merci au Parc National des Écrins pour l’autorisation d’utilisation des photographies.

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