A retenir

  • Dans un massif au profil exceptionnel, les prairies d’alpage représentent un milieu menacé par l’expansion des landes hautes.
  • A partir d’une couverture de lande supérieure à 30%, la diversité floristique a tendance à diminuer, questionnant la capacité des espèces animales herbivores à trouver la ressource fourragère nécessaire dans ces habitats.
  • En considérant qu’une activité pastorale est possible dans les milieux ouverts, un indicateur de « surface pâturable » permettrait d’évaluer l’efficacité des mesures de gestion, et de tenir compte de l’évolution des milieux face au changement climatique.

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Problématique : des landes envahissantes

Alors que la limite supérieure de la forêt est très étudiée et surveillée depuis de nombreuses années, la distribution des ligneux bas (ou landes) dans les Alpes est souvent mal prise en compte dans la cartographie et dans la gestion des milieux de montagne. Or les landes de la famille des Ericaceae représentent aujourd’hui un habitat structurant et parfois dominant de la couverture végétale en montagne, et leur extension au détriment des prairies peut conduire à un certain nombre de « dés-services » écosystémiques. Cette évolution est particulièrement visible dans le massif du Mont-Blanc, au profil dénivelé.



Depuis les années 1970 et grâce aux photos aériennes, on observe des prairies de montagne de plus en plus rares et fragmentées, isolées entre la forêt, les landes et les parois de haute montagne. Selon l’INPN (Inventaire national du patrimoine naturel), un tiers de la flore des milieux ouverts d’altitude (prairie, lande et combe à neige) est considérée comme menacée dans la région. Une forte expansion des landes hautes (typiquement à rhododendron) aurait été favorisée à la fois par le réchauffement climatique induisant une réduction de la durée d’enneigement, et par l’abandon du pastoralisme en faveur du tourisme. Le remplacement des prairies par des landes risque d’impacter les espèces florales et animales sur plusieurs aspects, notamment une baisse de diversité floristique, entraînant une modification des ressources végétales et de l’habitat disponible pour les herbivores sauvages et domestiques.

Pertinence : vers l’identification d’habitats « pâturables » et « non-pâturables »

Une approche multi-trophique (analyses d’images satellites, relevés terrain) permet d’appréhender les conséquences de la fermeture des prairies sur la diversité floristique et sur la disponibilité d’habitat pour la faune sauvage et domestique, à travers une carte d’habitat pour la vallée de Chamonix.


Dans l’ensemble de la vallée, les landes constituent un habitat dominant dans les milieux supra–forestiers. Si l’on s’attache en particulier à l’étude des alpages, on observe un fort gradient entre l’alpage de Blaitière - presque entièrement colonisé par les landes et la forêt - et l’alpage de Bellachat à côté du Brévent, qui reste majoritairement en prairie. Dans certains alpages comme Balme ou Loriaz, les zones de prairies subalpines sont entourées par la lande et la limite de la forêt, ce qui suggère que l’activité pastorale (passée et actuelle) maintient ces zones de prairies dans des lieux qui seraient autrement colonisés par les ligneux (arbres et arbustes).

En considérant qu’une activité pastorale est possible dans les milieux de prairie montagnarde, de prairie subalpine, d’écotone lande-prairie, et également dans les prairies alpines, on peut distinguer une classe d’habitat « pâturable » d’une « non-pâturable ». Cette surface, qui représente environ 12% de la surface totale dans la vallée, est susceptible d’évoluer en fonction de la charge pastorale allouée au cours de l’année, le type de bétail, et aussi des éventuelles actions de débroussaillage entreprises par les bergers et/ou les gestionnaires. Ainsi, un indicateur de « surface pâturable » permettrait d’évaluer l’efficacité des mesures de gestion, et de tenir compte de l’évolution des milieux face au changement climatique.

Evolution : quels impacts sur la distribution des espèces de faune sauvage ?

Une couverture plus importante de lande pourrait impacter la diversité floristique, donc indirectement l’utilisation et la fréquentation des habitats par certaines espèces de faune, comme le chamois (Rupicapra rupicapra) et le lièvre variable (Lepus timidus).



Les résultats suggèrent que passer d’un habitat à l’autre, par exemple de la lande à la prairie alpine, implique des changements fonctionnels comme une baisse dans la quantité de forbes (par exemple le trèfle alpin ou la gentiane pourpre) qui constituent une ressource à haute qualité fourragère pour la faune sauvage et domestique. En effet, à partir d’une couverture de lande supérieure à 30%, la richesse spécifique des plantes vasculaires a tendance à diminuer. Cette baisse de diversité est liée la plupart du temps à une couverture plus forte soit du rhododendron ferrugineux (Rhododendron ferrugineum), soit de l’airelle bleu (Vaccinium uliginosum), soit des deux.



La quantité d’espèces est seulement un indicateur, que la qualité fourragère pourrait venir compléter dans des études ultérieures, notamment en s’appuyant sur la probabilité des espèces animales à occuper différents habitats au long de l’année - indice calculé à partir des contacts enregistrés par pièges photo. Le maintien d’une mosaïque de landes et de prairies pourrait fournir à la fois une protection contre les prédateurs, grâce à la canopée plus haute des landes, mais également de la nourriture plus importante dans les milieux herbacés. La préservation d’une diversité de milieux semi-ouverts semblerait donc importante pour préserver l’habitat des espèces herbivores, comme cela a déjà été montré pour certaines comme le tétras-lyre.

Perspectives : : des outils évolutifs, au service des gestionnaires du territoire

Les réserves naturelles de la vallée de Chamonix Mont-Blanc ont pour vocation première de protéger la biodiversité et sa libre évolution, avec un minimum d’interférence par les activités humaines. Dans ce contexte, cette carte d’habitats régulièrement mise à jour pourrait être utile dans le suivi et la quantification des trajectoires de différents habitats à protéger, mais aussi dans la compréhension de leur vitesse d’évolution, principalement face au changement climatique.

La mise en place d’indicateurs écologiques permettrait d’évaluer l’efficacité des mesures engagées dans une démarche de gestion adaptative en croisant par exemple des enjeux de pastoralisme et de conservation. Si un objectif des gestionnaires du territoire est de conserver certains milieux ouverts à forte diversité (pelouse de combe à neige, flore des zones humides alpines, ou prairies alpines mésophiles riches en espèces, par exemple), ce suivi pourrait permettre de valider l’efficacité des mesures de conservation mises en place, en complément d’autres informations (données climatiques et d’usage, activité de la faune sauvage), facilitant ainsi la prise de décision dans les années à venir.


Moutons surpris par des chamois dans le secteur de la montagne de Peclerey


Références

Projet ORION : biOdiveRsity Impacts of shrub expaNsion in the Chamonix valley
https://www.spaceclimateobservatory.org/fr/orion

Partenaires

Travaux réalisés dans le cadre du projet ORION : biOdiveRsity Impacts of shrub expaNsion in the Chamonix valley
Projet financé par l’Office français de la biodiversité (OFB) dans le cadre du Space Climate Observatory (SCO) France, 2021-2023
En partenariat avec la Communauté de Communes de la Vallée de Chamonix Mont-Blanc, Asters-CEN74, LECA-CNRS, et Zones Ateliers Alpes (ZAA)

Si vous souhaitez davantage d’informations sur ces travaux, écrivez-nous à l’adresse contact@creamontblanc.org

Les résultats du projet ORION sont placés sous licence CC BY 4.0 Creative Commons Attribution

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